01 avril, 2010

Par les villages autour du pic Saint-Loup

Avec ses 658 m d'altitude, le pic Saint-Loup, c'est le phare parfumé de Montpellier. Un sacro-saint repère rassurant pour une ville qui se développe vers la mer, un signe du patrimoine de son arrière-pays. Que l'on accoste en terre héraultaise par la Méditerranée ou que l'on approche de la capitale languedocienne par les contreforts des Cévennes, on ne voit que lui. On s'enivre de lui.

Formé il y a trente millions d'années, ce puissant menhir de calcaire corallien, dont la position stratégique permit aux géographes romains de tracer la célèbre voie Domitienne, domine une garrigue odorante à vocation pastorale. Une végétation roussie l'été par le soleil brûlant, arrosée copieusement lors des orages d'automne et balayée par les vents froids en hiver. Du haut de sa crête aiguisée, le pic Saint-Loup résiste. Et protège.

Il tient son nom d'une belle légende d'amour moyenâgeuse. Celle qui conduit trois frères, Guiral, Alban et Thieri Loup, tous amoureux de la belle Bertrade, à partir en croisade sans savoir lequel elle choisirait comme époux. Triste destin : retour de la Terre sainte, la bien-aimée avait trépassé. Anéantis de chagrin, ils décidèrent de vivre en ermites au sommet de trois pitons voisins.
Installé sur le plus élevé, Thieri Loup décéda le dernier, non sans avoir, comme ses deux frères, allumé tous les 19 mars de sa vie un feu en la mémoire de sa dulcinée. Ainsi naquit le pic Saint-Loup, dont l'éperon rocheux domine le causse de l'Hortus et treize villages dispersés entre carrés de vignes, chênes verts, chênes kermès, pins d'Alep, arbousiers et genévriers.

Pendant bien longtemps, des cohortes de pèlerins ont, l'espace d'une messe dans la chapelle Saint-Joseph édifiée au sommet, affronté le dénivelé du sentier. Tombée dans l'oubli, la tradition a été relancée depuis dix ans. A l'initiative du syndicat du cru, des vignerons montent à dos d'homme caisses de vin et verres de dégustation au sommet du pic Saint-Loup. Là-haut, le dimanche qui suit le 19 mars, tout près des ruines du château de Montferrand, les initiés informés par le bouche-à-oreille découpent le saucisson, actionnent le tire-bouchon et gratouillent la guitare.

Par temps clair, le panorama est époustouflant. D'un côté les Cévennes, de l'autre la mer et les étangs, plus loin le mont Ventoux et le massif du Caroux. Les randonneurs émérites y croisent les botanistes amateurs en quête d'orchidées sauvages, les pilotes de planeurs y repèrent les chercheurs d'ammonites fossilisées. Méconnue, la grotte de l'Hortus, située sur le territoire de la commune de Valflaunès, a ses adeptes. Elle remonterait à 60 000 ans avant notre ère et a déjà permis de mettre au jour un outillage de pierre taillée relevant de la culture moustérienne, une riche faune ainsi que de nombreux restes d'hommes de Néandertal.

Dans ce décor où tout n'est que senteurs, sérénité et écologie fragile, il n'est pas rare d'y rencontrer l'aigle de Bonelli et le grand corbeau, qui nichent dans les parois escarpées. Approcher la très longue et inoffensive couleuvre de Montpellier (jusqu'à 2,50 m) exige de la patience ; écouter le concert des hiboux petits-ducs et des chouettes rivalisant de vocalises réclame une nuit à la belle étoile.

Reste que, au coeur de cette contrée où se mêlent les influences des climats méditerranéen et continental, thym, laurier, cade, romarin et ciste laissent pourtant la vedette à une autre plante : la vigne. Mieux : ces multiples essences méditerranéennes composent la palette olfactive des vins du pic Saint-Loup.

Découvert et valorisé par les Romains, relancé par les monastères au XIe siècle, détruit par le phylloxéra à la fin du XIXe avant de connaître un nouvel âge d'or avec la coopération, le vignoble du pic Saint-Loup s'étend aujourd'hui sur 600 hectares. Optant pour la qualité, une trentaine de domaines et châteaux ainsi que quatre caves coopératives produisent des vins de caractère. Des crus amples et aromatiques dont les cuvées les plus expressives rivalisent avec les autres grands terroirs français.

Au fil des routes étroites et entrelacées qui se promènent entre pinèdes, carrés de vignes et buissons épineux, on découvre ces propriétés ombragées, la plupart de grandes bâtisses enchevêtrées où la maison d'habitation jouxte le chai. Certaines, comme le Mas.

Symbole de l'arrière-pays de Montpellier, ce sommet de 658 mètres d'altitude domine un magnifique paysage de garrigue et de vignes.

Bruguière, appartiennent à la même famille depuis la Révolution ; d'autres, comme le Château de Cazeneuve d'André Leehnardt ou le Domaine de l'Hortus de Jean Orliac, ont été achetées dans les années 1980.

Tous ont défriché la garrigue, replanté sur un sol argilo-calcaire ou d'éboulis, investi des sommes importantes pour élaborer des nectars qui enthousiasment les papilles avec leurs parfums de fruits rouges ou d'épices, de vanille ou de fleurs blanches, avec leur nez de réglisse ou de notes animales, avec leurs tanins fondus et généreux. « Chaque cuvée a sa typicité, chaque millésime sa personnalité, mais le pic Saint-Loup, c'est d'abord une forte personnalité, une vraie identité », résume Michel Barthez, oenologue montpelliérain. Au point que le cercle des producteurs s'élargit à une « légion étrangère ».

Dans le seul village de Claret, un architecte suisse a racheté le Domaine Foulaquier, un avocat allemand investit dans le Domaine Zinbaum Tomassi et une Anglaise dirige le site pic.com, spécialisé dans la vente de vins sur Internet. Loin de tout commerce, Daniel Cohn-Bendit s'est offert une résidence secondaire à Lauret. Il y vient souvent se ressourcer, mais n'y a jamais croisé François Mitterrand, qui, invité de l'ancien président du conseil général de l'Hérault, a entrepris l'ascension du pic Saint-Loup un beau jour de 1988, en compa- gnie d'un certain Michel Rocard. C'est, dit-on, sur le chemin de retour que le président de la République fraîchement réélu lui proposa Matignon.

Intimement liée, l'histoire du pic et de la vigne a depuis longtemps gagné chacun des villages de ce minuscule terroir. A Saint-Jean-de-Cuculles, on s'apprête à vivre, mi-octobre, la 14e vente aux enchères des vins du Languedoc-Roussillon. L'occasion aussi de visiter ce village aussi célèbre pour sa foire aux santons et sa fête de la chasse que pour son église romane.

A deux pas, les amoureux de vieilles pierres pousseront jusqu'aux Matelles, d'abord pour y découvrir les ruelles du village médiéval et le Musée de la Préhistoire, puis pour stopper devant le mythique Pet au Diable, bar-restaurant de poche creusé dans la roche qui, dans les années 1960, vibra aux rythmes des boeufs de Bobby Lapointe et Georges Brassens.

Un crochet par Saint-Mathieu-de-Tréviers, le temps d'y apprendre que ses habitants, qui s'appelaient autrefois « los Orguelhos », étaient en fait très fiers de leur forteresse flanquée de tours rondes vieilles de 5 000 ans, cap sur le causse de l'Hortus avec sa falaise dont l'à-pic de 100 mètres donne un peu le vertige. Sauf aux parapentistes.

C'est dans cette campagne boisée du XVIe siècle, qui faisait vivre les écorceurs et les chaufourniers, que les gentilshommes verriers soufflaient le verre. Ce privilège octroyé par le roi à des nobles locaux en remerciement des services rendus pendant les croisades tente aujourd'hui l'aventure de l'art contemporain au pied du pic Saint-Loup, via un chemin des verriers qui conduit le visiteur à travers une petite dizaine d'ateliers dont ceux de Jean-Claude Yann à Vacquières, d'Yves Trucchi et de la verrerie d'art à Claret.

Sur place, les artistes actionnent leur talent, leur souffle et leur four. Ce village abrite aussi René Boissier, le seul producteur français d'huile de cade, sorte de mélasse noire aux vertus thérapeutiques. « Cela fait trois générations que notre famille extrait de l'huile de genévrier oxycèdre », dit-il. Chaque année, il distille autour de 13 tonnes destinées à l'industrie pharmaceutique et aux laboratoires cosmétologiques « pour guérir les maladies de peau ». Une raison de plus de canoniser la « montagne sacrée » des Montpelliérains.

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